mercredi 1 juin 2005

Ciné/Conférence "L’Aubrac au cinéma" : Un roi sans divertissement de François Leterrier d’après l’œuvre de Jean Giono,le 1 juin 2005



 Cette année, les élèves de terminale Littéraire ont dû se pencher sur l’oeuvre de Jean Giono Un roi sans divertissement dans laquelle le célèbre écrivain provençal livre une méditation pessimiste sur l’ennui existentiel de l’Homme. Ce fut l’occasion, pour l’Amicale Luxembourg-Aveyron, lors d’une conférence au Centre Culturel Français de la capitale européenne, de rappeler que ce roman publié en 1947, fut en 1963 l’objet d’une adaptation cinématographique injustement méconnue et surtout que l’Aubrac servit de décor.

Aspect qu’a développé le conférencier, M. Michaël Bach, professeur de Lettres, originaire de Saint Geniez d’Olt, village situé au pied de ces monts d’Aubrac, après que Mme Crosnier, directeur du CCF, eut tracée les grandes lignes de la vie de Jean Giono.

Alors que dans le roman, l’action se situait dans les Alpes iséroises, Jean Giono, auteur du scénario, demanda au réalisateur François Leterrier que le tournage s’effectue sur ce plateau que l’Aveyron se partage avec le Cantal et la Lozère, en plein hiver, recouvert par la neige. Ceci a pour résultat que Un roi sans divertissement fait partie de ces oeuvres où le décor a un impact considérable sur sa signification, où le réalisateur n’oublie pas que le cinéma est avant tout un art visuel. Ambitieux sur le plan esthétique par le jeu permanent sur les couleurs au point que certains plans sont de véritables peintures, représentation métaphysique de l’Ennui qui ronge les personnages, loin des clichés publicitaires pour attirer les touristes amateurs de randonnées, l’Aubrac devient le lieu où se mêlent la beauté, l’étrange et le funeste. Ainsi, le film place le spectateur face à une vision particulièrement originale et prenante de cette région.

C’est aussi une reconstitution fidèle du mode de vie dans cette région belle mais au climat âpre au milieu du XIXème siècle : le charme rustique des villages et des maisons protège des hivers difficiles.

Après la diffusion du film, le public nombreux et intéressé s’est retrouvé autour d’un pot de l’amitié où le vin de Marcillac et les gâteaux aveyronnais ont été appréciés. Les discussions animées amenèrent un constat unanime : Un roi sans divertissement est un film de qualité qui mérite d’être redécouvert aussi bien par le cinéphile que par celui qui apprécie ou veut découvrir l’Aubrac.


" Le premier plan du film : un décor blanc immaculé par la neige. Au bout de quelques secondes surgit une silhouette noire. Le ton est donné, le film est tourné en couleur mais pourtant, tout au long du film, blanc, noir et gris dominent l’image. Toute l’énergie des protagonistes - le capitaine de gendarmerie Langlois, l’assassin qu’il recherche et dans une moindre mesure le procureur- va se déployer dans cette quête désespérée : colorer ce décor comme un combat symbolique et tragique contre le néant existentiel d’Hommes privés de couleur. Et ce décor, c’est un village perdu (Les Hermaux ) sur le plateau de l’Aubrac au plus dur de l’hiver au milieu du XIXème siècle.
Resituons le contexte du film. En 1947, Jean Giono publie ce qui est aujourd’hui considéré comme l’un des romans majeurs du XXème siècle : Un roi sans divertissement dont le message philosophique est bien connu : sous une trame policière classique – un enquêteur à la recherche d’un « serial killer » – se développe un thème pessimiste et cher à certains de nos grands auteurs comme Pascal ou Baudelaire : l’Ennui existentiel inhérent à l’Homme et sa conséquence dans la recherche obsessionnelle du divertissement fusse par le crime. On reprocha au roman sa complexité narrative par moment à la limite de l’hermétisme.
En 1963, Giono en tire un scénario et supervise étroitement la réalisation cinématographique confiée à François Leterrier. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un simple adaptation mais bien d’une véritable réécriture où sont explicités, clarifiés et parfois modifiés les points obscurs du roman.
Et paramètre qui nous importe ici : le lieu de l’action change. Des Alpes iséroises, nous passons au plateau de l’Aubrac car le décor se doit de refléter le néant intérieur des personnages. Les majestueuses montagnes alpines laissent place à un décor monotone où les formes sont abolies. La neige recouvre et unifie tout par son voile blanc ; les personnages sont habillés de noir et de gris et, anecdote saillante, Giono fit frotter les maisons avec de la neige et de la boue pour leur donner une apparence terne ; cet environnement sinistre est appuyé par la chanson lancinante de Brel: « pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?».
Contre cette monotonie tragique, il faut lutter et les couleurs surgissent comme elles peuvent. Les couleurs chatoyantes de l’intérieur de l’église créent un contraste saisissant avec l’extérieur. Le procureur, joué par Charles Vanel, fait habiller son jeune aide en rouge tel un petit chaperon. Ce rouge qui devient la couleur omnipotente pour détruire ce blanc insupportable de mélancolie. A de nombreuses reprises, le rouge de différents objets et particulièrement du sang du meurtre et du suicide macule la neige. La chasse meurtrière, celle d’un animal et celle d’une jeune femme, se dévoile comme le seul divertissement possible dans ce monde rongé par l’ennui. Le dernier plan du film est un écran rouge…
Un roi sans divertissement, bien que d’un pessimiste absolu sur le fond est d’une grande ambition formelle. Jamais sans doute, l’Aubrac n’a été représenté ainsi : aire à la limite de l’abstraction, reflet métaphysique de l’âme humaine ; cela se manifeste dans le maniement, esthétiquement très réussi, des couleurs ou plutôt des non-couleurs. Voilà tout le paradoxe de l’oeuvre du duo Leterrier-Giono ; l’Aubrac devient un funeste enfer humain digne du Huis-clos de Sartre et dans le même temps permet la création visuelle d’un espace géographique d’une beauté bouleversante à l’écran."
Michael Bach











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