« Le Luxembourg est une des îles principales de l’archipel de notre
vie »
Dans le cadre du salon du livre, notre association a participée
également
à une lecture bilingue occitan français intitulée "Des Balssàs de
Boudou à Honoré de Balzac"
Des Balssàs de Boudou au Balzac d’Honoré
L’histoire singulière que
nous vous proposons de raconter à partir de deux grands écrivains, Jean
Boudou et Honoré de Balzac, que tout semble séparer, la langue, la culture,
mais qui ont un dénominateur commun, leur origine familiale par la mère de
Boudou qui est née Balssa, tient son origine dans ce que nous appellerions
aujourd’hui l’exil ou l’exode, tragédie quotidienne des peuples bannis de
leur terre, et qui parle aussi peut-être de celle de l’humanité qu’ils ont
voulu, chacun à leur manière, faire apparaître dans leurs œuvres.
Remonter aux sources, décrire
jusqu’au moindre détails les liens de parenté, les lieux et patronymes, tels
sont entre autres les grands thèmes de leur recherche littéraire.
Chez Boudou, les contes
dels Balssàs, cette saga familiale, commencent par la guerre qui massacre et
détruit tout et fait s’enfuir les ancêtres de ces deux auteurs, ainsi que
toute une cohorte de pauvres gens, sur le chemin terrible de l’exode, vers un
autre pays, inconnu, sauvage et dépeuplé, la vallée du Viaur dans l’Aveyron.
Là-bas cette souche
familiale sera mythifiée par Boudou comme l’origine de l’humanité partant
d’un paradis, de l’Eden, pour se retrouver sur une terre où les fratricides,
les conflits religieux, la peste, les crimes, les reniements seront leur
sort, leur enfer. Cette vallée symbolisera ainsi pour lui ce lieu de la
condition humaine tragique où le mot « Amor » n’existe pas, et qui
reste toujours le lot actuel de ce qu’appelle Boudou « Les damnés de la
terre ». Car Boudou a choisi son camp, celui des misérables, et également
sa langue, l’occitan, un outil à son service dira-t-il, une langue qu’il
croit être condamnée comme lui et qui va inéluctablement vers sa mort,
écrasée entre son passé splendide et les luttes vaines contre les
oppressions, sans futur et que les siens renient. Il s’en servira pour se
tenir droit, en vie, pour éviter de se tuer ou de sombrer dans la folie, et
chercher sa liberté, sa Talvera, sa Lisière, sur les marges de la société,
ses frontières, ses limites.
Mais n’en est-il pas
aussi ainsi de son ancêtre, l’Onorat, Honoré de Balzac, qui semble ne rien
savoir de son passé familial, dont son père avait francisé le nom de Balssà
en Balzac pour cacher son origine et ses secrets, mais pour lequel peut-être
« la civilisation et ses Lumières ne semblent être que la fragile pellicule
sous laquelle gronde et perce la lave sauvage et sublime de la nature humaine
sortie de ses gonds et revenue à son état de violence primitive », comme
disait Rousseau.
Voici donc l’histoire de
cette malédiction ou comédie humaine des Balssàs, en commençant par :
L'implantation des Balssa
dans la vallée du Viaur
La vallée du Viaur a vécu
durant un siècle, de 1348 à 1450 environ, toute une série d'épreuves :
épidémie de peste noire, guerre entre les bandes armées au service du
roi de France et celles agissant pour le compte du roi d'Angleterre
après le traité de Brétigny, dévastations commises par les Grandes
Compagnies. Toutes ces épreuves ont entraîné la disparition d'une grande
partie de la population, ce qui nécessita un repeuplement partiel de la
vallée à partir d'immigrants venus d'autres régions. Une étude des patronymes
de ces immigrants montre qu'un grand nombre provenait du nord du Rouergue, de
l'Auvergne et du Gévaudan voisin.
Ecoutons le récit que
fait Jean Boudou de cette exode vers ces terres nouvelles :
/…/ Lo vilatge cremava
(Le village brûlait). De soldats cridavan per las carrièras en brandissant
d’espalhons alucats (Des soldats criaient dans les rues en brandissant des
torches de pailles allumées). Devián èsser los enemics ! qual
sap ?...(Ce devait être les ennemis ! Qui sait ?…) En temps de
guèrra tot se mescla e los soldats son totes de soldats (En temps de guerre
tout se mêle et les soldats sont tous des soldats).
Balssà lo vièlh prompe
jongeguèt las doas vacas guinetas, las atelèt al carrí nòu. La Balssana pausèt sul carri un paquet de pelhas, un tròc de pòrc
salat, qualques topinas de grais. Sonèt Balssanon, lo seu dròlle, e
barringa–barranga, tota la familha partiguèt dins la nuèch, sus la nèu(Le
vieux Balssa lia rapidement les deux vaches rousses, les attela au nouveau
chariot. Sa femme posa sur le chariot un paquet d’oripeaux, un morceau de
porc salé, quelques toupines de graisse. Elle appela le petit Balssa, son
garçon, et cahin-caha, toute la famille parti dans la nuit, sous la neige)/…/
A l’origine du nom Balssa
Le nom de famille Balsa
ou Balssa qui est le vrai nom d'Honoré dérive de l'adjectif occitan "
balsan " issu du latin " balteanus " qualifiant un cheval
ayant des taches blanches sur ses jambes. Appliqué à un être humain, c'est
devenu un sobriquet désignant un individu tacheté. La forme française
équivalente était " beaucent ". Elle a inspiré à Honoré de Balzac
le nom de Beauséant, une des grandes familles de La Comédie humaine. En
dehors de la branche des Balssa du Pont-de-Cirou établie à Rodez vers 1610 et
qui prit le nom de Balsac, d'autres Balssa de branches restées à la terre
sont également appelés parfois Balsac ou Balzac. Bernard-François Balssa,
devenu à Paris de son propre chef Balsac puis Balzac entre 1773 et 1783,
n'était donc pas le premier Balssa à procéder à ce changement de nom même
s'il est vrai que ce changement d'identité accompagnait généralement une
promotion sociale et correspondait aussi à une francisation d'un nom de
famille aux consonances trop occitanes. Le faible nombre de familles existant
avant 1500 permet de leur attribuer une origine unique, l'ancêtre commun
s'étant sans doute établi dans la première moitié du XVe siècle. Celui-ci eut
en lignée masculine une très nombreuse postérité puisqu'à la veille de la Révolution
le nombre de familles Balssa, Balsa, Balza, Balsac ou Balzac dans la vallée
du Viaur dépassait largement la cinquantaine. Ces familles appartenaient à
tous les milieux sociaux, du Balssa brassier illettré se louant à la journée
pour subsister jusqu'aux Balzac de Firmy possesseurs de plusieurs châteaux en
Rouergue.
/…/D’aquel temps, de
Balssàs n’i aviá pertot, de cada part de Viaur (En ce temps là, des Balssas
il y en avait partout, de chaque côté du Viaur). De Monestièr a Sant Andrieu, dempuèi
la Salvetat en Roergues entrò al Segur-Suèch dins Albigès Aital ne mancava
pas de parentalhas pels maridatges o per las messas dels mòrts (Ainsi il ne
manquait pas de cousinages pour les mariages ou les messes des morts).
« Cada Balssana un mainatge per an » coma se disiá (Chaque femme
Balssa un enfant par an, comme on disait). Aquò ne fasiá de Balssanons que se
butavan un l’autre per créisser pus lèu (Cela en faisait beaucoup de petits
Balssas qui se mettaient ensemble pour croître plus vite). Puèi eissamavan, quand
los ostals èran tròp plens (puis ils s’essaimaient quand les maisons
étaient trop pleines)./…/
Bernard-François Balssa,
le père d’Honoré
C'est le 22 juillet 1746
que naquit Bernard-François Balssa. Celui-ci avait dans son ascendance de
nombreuses familles établies depuis un temps immémorial dans la vallée du
Viaur. La langue usuelle chez les Balssa comme dans toute la communauté de
Montirat et les communautés voisines était au XVIIIe siècle l'occitan et non
le français. Le curé prêchait en " patois " le dimanche à l'église;
aussi bien le juge de Lagarde-Viaur que les notaires utilisaient cette langue
dans leur fonction, même si leurs actes étaient ensuite rédigés en français.
Honoré de Balzac ne viendra jamais visiter la terre de ses ancêtres. Cependant
des événements relatifs à la vie de son père en Languedoc ou le nom de
certaines de ses relations méridionales seront utilisés comme matériaux dans
son oeuvre, mais toujours soigneusement dissimulés. Une méthode de camouflage
utilisée par l'écrivain sera la transformation de noms albigeois ou rouergats
en noms auvergnats. C'est ainsi que Candour, nom d'une famille de juges de
Lagarde-Viaur est devenu Chandour; Campagnac, nom des cousins de Flauzins a
été transformé en Champagnac !
/…/ Lo temps passèt a la
Nogairiá coma passa pertot, amb de rebaladís e de misèrias.(Le temps passait
à la Nougayrié comme il passe partout, avec des tracas et des misères)
Venguèt lo jorn que deviá nàisser un pichòt enfant. Una vesina anèt prompte
sonar la Cotilhana vièlha.(Vint le jour où devait naître un petit enfant. Une
voisine alla appeler vite la vieille Coutille).Se contava qu’èra masca. Aquò
n’anèt lèu-fach. Dins d’abòrd s’ausiguèt cridar l’enfantet : èra un
masclon. (On disait qu’elle était sorcière. Cela se passa vite et bien fait.
On entendit d’abord crier l’enfant : c’était un mâle.)La Cotilhana li
dubriguèt la manòta entreserrada (La Coutille lui ouvrit la petite main
serrée):« Es marcat del signe, marmonèt la vièlha bruèissa entremièg las
dents. Aquel enfantet es marcat per èstre ric, poderós, onorat e aimat. (Il
est marqué du signe. Marmona la vieile sorcière entre ses dents. Cet enfant
est marqué pour être riche, puissant, honoré et aimé )Ara ieu vos
aconselharai quand serà bèl de lo manténer aicí que demòre paure, mespresat,
descogenut.(Alors moi je vous conseillerais quand il sera grand de le garder
ici pour qu’il reste pauvre, méprisé, inconnu)Es lo primièr ram de la soca.
Se daissatz tròp butar lo primièr ram, se lo magensatz pas, chucarà per el
tota la bona saba e la soca s’aflaquirà fins a ne secar. Mai el s’enauçarà,
d’ont mai vautres rebalaretz(C’est le premier rameau de la souche. Si vous
laissez trop pousser le premier rameau, si vous ne le taillez pas, il tétera
pour lui seul toute la bonne sève et la souche s’affaiblira jusqu’à en
sécher. Plus il s’élèvera, d’autant plus vous vous traînerez)»/…/
L'emprisonnement de
Bernard-François à Lagarde-Viaur
Dans les cours de
catéchisme que suivit le jeune Bernard-François, l'abbé Charles-Alexis Vialar
remarqua la vive et précoce intelligence de l'enfant. Il le fit rentrer comme
petit clerc chez le notaire Me Albar qui apprit au jeune garçon à lire et à
écrire et qui lui inculqua les rudiments des langues latine et française,
aussi étrangères l'une que l'autre à son environnement familial. Mais quelles
furent les circonstances qui amenèrent peu après Bernard-François Balssa à
quitter définitivement Canezac? Au Vernhet dans la paroisse de Canezac,
vivait une famille de charpentiers, les Mouychoux. Les parents, étaient décédés
respectivement en 1761 et 1762 laissant plusieurs enfants dont une fille
Marianne, née en 1743. Bernard-François Balssa noua des relations amoureuses
suivies avec cette Marianne Mouychoux, de trois ans son aînée. Elle devint
enceinte et demanda le mariage. Bernard-François refusa obstinément. Suite à
une prise de corps demandée contre lui par la jeune fille séduite, il fut
alors emprisonné au château de Lagarde-Viaur. Il en fut libéré suite à un
accord amiable conclu entre son père et Marianne Mouychoux et c'est alors
qu'il quitta Canezac pour une vie nouvelle sans doute dès fin février 1766.
/…/ Bernadon, el, cridava
lo confiteor en entièr d’una votz clara e, quand tustava lo mea culpa, òm
auriá dich que portava dins lo seu còr totes los pecats del mond.(Le petit
Bernard, lui, criait le confiteor en entier d’une voix claire et, quand
retentissait le mea culpa, on aurait dit qu’il portait dans son corps tous
les péchés du monde.)Monsen lo rector se pensava « A bon cap aquel
païsanòt. Li me cal far un bocin d’escòla, puèi lo mandarem al seminari
d’Albi : ne farem un rector coma ieu » (Monsieur le curé se
disait «Il a une bonne tête ce petit paysan. Il me faut lui faire un peu
l’école, puis nous l’enverrons au séminaire d’Albi : nous en ferons un
curé comme moi )E Bernadon, dos o tres còps per setmana, anèt a la
caminada. Lo rector li ensenhèt a legir, a escriure, a comptar qualque brigat
e subretot a comprene lo latin(Et le petit Bernard, deux ou trois fois
par semaine, prit le chemin. Le curé lui enseigna à lire, à écrire, à compter
quelques peu et surtout à comprendre le latin)/…/
La carrière de
Bernard-François Balzac
On retrouve
Bernard-Franois en 1771 à Paris; sa vive intelligence et les services qu'il
rend lui permettent de nouer des relations. C'est à la Chambre du
domaine qu'on le trouve employé en 1773. Trois ans plus tard, il entre comme
secrétaire au Conseil du roi jusqu'en 1794. Mais la Révolution en 1789 va
transformer sa carrière. Bernard-François entre en 1792 dans l'administration
des subsistances militaires; trois ans plus tard il est nommé directeur des
vivres de la 22ème région militaire à Tours . En 1797, à 51 ans, il épouse la
fille d'un de ses anciens collègues de l'administration des vivres : Laure
Sallambier, parisienne âgée de 18 ans. Le 20 mai 1798 naît le premier enfant
du couple qui mourra à un mois; Honoré, né le 20 mai 1799, sera l'aîné des
quatre enfants survivants. Revenu à Paris en 1814 et mis à la retraite en
1819, Bernard-François Balzac mourra à Paris en 1829, l'année où son fils
Honoré signera pour la première fois sous son vrai nom le premier roman de La
Comédie Humaine : Les Chouans.
/…/ Fugiguèt los nòstres
travèrses, Bernadon (Il s’enfuie notre petit Bernard); fugiguèt lo seu
ostal(Il fuit sa maison). Abandonèt Albi tanben per anar entrò Paris(Il
abandona aussi Albi pour aller à Paris). En amont, sabi pas consí las causas
virèron, mas Bernadon foguèt del conselh del rei(Là-haut, je ne sais pas
comment les choses allèrent, mais il fut conseiller du roi). Lo païsanòt de la
Nogariá reneguèt fins al seu nom. Lo caliá sonar Monsen de Balzac (Le petit
paysan de la Nougayrié renia jusqu’à son propre nom. Il fallait l’appeler
Monsieur de Balzac)./…/
L'affaire Balssa
La description du Midi
dans La Comédie humaine est fragmentaire et exclut d'une manière quasi
absolue l'Albigeois, le Toulousain, le Rouergue et le Quercy, c'est-à-dire
les régions d'origine du père de Balzac et de ses principaux amis et
protecteurs : ceci bien sûr en raison du drame de l'affaire Balssa dont
jamais la cicatrice ne devait se refermer dans le coeur de l'écrivain qui
prétendra se rattacher à la noble famille auvergnate des Balzac d'Entragues.
Le 6 juillet 1818, vers neuf heures du matin, une jeune fille de la
Calquière, hameau situé au bord du Viaur dans la commune de Mirandol, venait
comme chaque jour puiser de l'eau à la fontaine de Frexaïres, située dans ce
lieu isolé. Quelle ne fut pas sa surprise d'y découvrir un corps tuméfié
qu'elle reconnut être celui de Cécile Soulié, une jeune femme native de la Calquière,
qui se louait depuis quelques années comme servante dans les fermes
environnantes et qui était enceinte. Prévenu par le père de la victime, le
juge de paix de Pampelonne se rendit presque aussitôt sur les lieux et le
chirurgien dont il se fit accompagner conclut à une mort criminelle par
strangulation. Certains des témoignages recueillis par le juge lors de son
enquête compromirent Louis Balssa, le plus jeune frère de Bernard-François,
demeuré au hameau natal de la Nougayrié. Le procès-verbal du juge, qui était
un oncle de Jean Albar, sans doute le vrai coupable, convainquit le procureur
du roi près le tribunal d'Albi de décerner un mandat de dépôt contre Louis
Balssa. Son procès devant les assises du Tarn fut très rapide et ne déborda
pas de la journée du 14 juin 1819 . La question à laquelle les jurés eurent à
répondre à l'issue de cette journée était simple :" Louis Balza est-il
coupable d'avoir, avec préméditation, commis un meurtre sur la personne de
Cécile Soulié ?" Les jurés y répondirent affirmativement mais à la
simple majorité. Louis Balssa fut exécuté le 16 août 1819 sur la place du
Manège à Albi. Il est presque certain qu'il était innocent, le vrai coupable
étant Jean Albar, petit-fils du notaire dont Bernard-François avait été le
clerc.
/…/ Venguèron los
gendarmas. Enquestavan pels ostals.(Les gendarmes vinrent. Ils enquêtèrent
dans les maisons)Mas Joan Albar deçà delà fasiá lusir d’argent. Lo mond se
calèron.(Mais Jean Albar par-ci par-là faisait briller l’argent. Les gens se
taissèrent)
E foguèt Loïs de Balssà
que los gendarmas prenguèron. Lo clavèron dins la prison d’Albi.
(Et se fût Louis de
Balssa que les gendarmes amenèrent. Ils l’enfermèrent dans la prison d’Albi)
Lo tribunal lo condamnèt a mòrt. Sus la plaça del Manège, en 1819, redolèt lo
cap del prince de la Nogairiá.(Le tribunal le condamna à mort. Sur la place
du manège, en 1819, roula la tête du prince de la Nougayrié) Aquel jorn, en
amont, a Paris, Bernat-Francés de Balssà, Monsen de Balzac, demandava a
son flh : « Onorat, ara que tenes los vint an, quin mestièr
vòls prene ? »- « Paire, vòli èsser escrivan »(Ce jour
là, en haut, à Paris, Bernard-François de Balssa, Monsieur de Balzac,
demandait à son fil « Honoré, maintenant que tu as vingt ans, quel
métier veux-tu faire ? » « Père, je veux devenir
écrivain »)/…/
Les deux faces d’une même
pièce
« Toutes les âmes
des ancêtres d’Honoré se sont réincarnées dans les milliers de personnages de
la Comédie Humaine qui chacun brûle sa fièvre dans un monde infernal ». Telle est en substance ce que dit Boudou à la fin de son récit,
comme si un lien, un fil mystérieux reliait pour toujours Balzac à son
origine. Cette origine commune qui a donné deux destins différents, en
apparence opposés, d’un coté dans la Comédie Humaine à travers la quête
d’Honoré à représenter et à créer une société et une humanité, et de l’autre
chez Boudou de reconstituer et restituer cette humanité, cette société, l’une
étant entièrement imaginaire, et l’autre exclusivement locale, n’a-t-elle pas
engendré la même œuvre, celle d’essayer de percer le mystère de l’humanité en
l’écrivant. Car ce travail énorme de recherche de la part de Balzac ou bien
de Boudou, soit de façon générale ou bien locale, raconte la même histoire
qui traverse leur vie, leurs œuvres, et que ce soit à Paris ou bien
dans la vallée du Viaur, l’Humanité se dit et se vit partout, ceci
indépendamment des lieux, des cultures, des langues, à l’opposé d’échelles de
valeurs qui sont souvent imposées par les cultures dominantes vis-à-vis de
celles dites minoritaires.
Bien que ce mystère
transpire si peu dans l’œuvre d’Honoré, il a donc toutefois été l’origine de
son destin, comme les exodes, les migrations de sa longue parenté, de région
en région, de village en village. Ceci reste le lot de plus en plus actuel de
femmes et d’hommes, d’un pays à l’autre et de continent en continent, et qui
doivent, malgré ces ruptures, garder ce fil fragile qui nous relie tous et
qui doit être préservé, au-delà des rives de nos migrations, en équilibre
toujours fragile entre particularisme et intégration, car nous racontons tous
l’histoire humaine.
A ce fil nous pouvons
néanmoins essayer d’y accrocher un mot : la convivencia, introduit
en 2004 en français sous le terme convivance, hérité de la civilisation
occitano-arabo-andalouse et qui reliait les interactions entre
musulmans, juifs et chrétiens à l’époque médiévale. Ce terme pourrait être le
concept du temps présent et à venir et se définir comme un art de vivre
ensemble dans le respect des différences, en termes d’égalité. Il
impliquerait dès lors l’établissement d’équilibre subtils entre l’individu et
la ou les communautés de son choix, entre l’universel et le local,
l’enracinement et le nomadisme, le proche et le lointain, l’autonomie et
l’interdépendance, l’intégration et l’assimilation librement consentie, la
croyance et l’incroyance, la laïcité et la spiritualité. C’est à un nouveau
jardin des savoirs auquel nous sommes conviés[*]
Nous espérons que ce
petit récit occitano-français vous aura également donné envie de visiter ce
très beau pays de la vallée du Viaur, entre le Rouergue et l’Albigeois, où
vous pourrez vous replonger dans cette histoire sur les lieux même où elle
s’est déroulée.
Et si vous rencontrez une
personne, sans lui demander son nom, dites-lui « Adieusiatz » et
parlez-lui d’Honoré et de Jean. Il en sera très fier. Ce sera un
Balssa !
[*] Au-delà des rives- Alem
Surre-Garcia
Début d'Eugénie Grandet :
Il se trouve dans
certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à
celle que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus
ternes ou les ruines les plus tristes. Peut-être y a-t-il à la fois dans ces
maisons et le silence du cloître et l'aridité des landes et les ossements des
ruines. La vie et le mouvement y sont si tranquilles qu'un étranger les
croirait inhabitées, s'il ne rencontrait tout à coup le regard pâle et froid
d'une personne immobile dont la figure à demi monastique dépasse l'appui de
la croisée, au bruit d'un pas inconnu. Ces principes de mélancolie existent
dans la physionomie d'un logis situé à Saumur, au bout de la rue montueuse
qui mène au château, par le haut de la ville. Cette rue, maintenant peu fréquentée,
chaude en été, froide en hiver, obscure en quelques endroits, est remarquable
par la sonorité de son petit pavé caillouteux, toujours propre et sec, par
l'étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui
appartiennent à la vieille ville, et que dominent les remparts. Des
habitations trois fois séculaires y sont encore solides quoique construites
en bois, et leurs divers aspects contribuent à l'originalité qui recommande
cette partie de Saumur à l'attention des antiquaires et des artistes. Il est
difficile de passer devant ces maisons, sans admirer les énormes madriers
dont les bouts sont taillés en figures bizarres et qui couronnent d'un
bas-relief noir le rez-de-chaussée de la plupart d'entre elles. Ici, des
pièces de bois transversales sont couvertes en ardoises et dessinent des
lignes bleues sur les frêles murailles d'un logis terminé par un toit en
colombage que les ans ont fait plier, dont les bardeaux pourris ont été
tordus par l'action alternative de la pluie et du soleil. Là se présentent
des appuis de fenêtre usés, noircis, dont les délicates sculptures se voient
à peine, et qui semblent trop légers pour le pot d'argile brune d'où
s'élancent les oeillets ou les rosiers d'une pauvre ouvrière. Plus loin,
c'est des portes garnies de clous énormes où le génie de nos ancêtres a tracé
des hiéroglyphes domestiques dont le sens ne se retrouvera jamais. Tantôt un
protestant y a signé sa foi, tantôt un ligueur y a maudit Henri IV. Quelque
bourgeois y a gravé les insignes de sa noblesse de cloches, la gloire de son
échevinage oublié. L'Histoire de France est là tout entière.
Sources : Toutes les sources concernant le récit chronologique sont
fournies dans le livre : " La vie prodigieuse de Bernard-Franois
Balssa. Aux sources historiques de La Comédie humaine ", Jean-Louis
Déga, Editions Subervie, Rodez, 1998.
Site internet : http://perso.wanadoo.fr/viaur.vivant/VIAUR
Contes dels Balssàs, Joan Bodon, IEO
Edicions
Contes des Balssas, Jean Boudou, Editions
du Rouergue
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